Lorsque tu étais plus jeune encore, tu étais allé voir ta tante pour l’interroger. Ce jour-là, il pleuvait des cordes, comme si le clan des étoiles pleurait encore la mort de ta mère. Cependant, toi, tu avais l’esprit ailleurs. Tu te foutais qu’il pleuve, qu’il fasse soleil ou qu’une pluie de météorites s’effondraient dans la forêt. Lentement, tu t’étais dirigée vers elle, attendant le moment où elle se réveillerait.

-Dit, tante, qu’est-ce qui décrit une personne?

À cet instant, tu avais l’air si stupide. C’était effrayant de voir un chaton se poser tant de questions alors qu’il lui restait toute une vie pour se poser ces questions. Mais elle te répondit tout de même.

-Eh bien, le caractère d’une personne, c’est ce qui fait d’elle quelqu’un. C’est une partie en soi qui nous dicte comment se conduire, qui nous dit quoi faire, et quand le faire. C’est une force qui te fait parfois faire des choses impensables ou à l’inverse, des miracles hors du commun. Il y a aussi le physique de quelqu’un, quoiqu’il soit beaucoup moins important. Il décrit parfois un peu la personne, comme quand on voit qu’un chat s’occupe de son pelage, c’est qu’il tient à faire bonne mesure devant les autres. On ne trouve pas tout le monde de son goût, mais on ne choisit pas à quoi on ressemble ni comment on pense, après tout.

-Et moi, que suis-je comme personne ?


-Eh bien, je doute que tu ne te sois jamais posé la question, enfin bon. Ton père m’as toujours répété que tu ressemblais à ta mère. Téméraire comme pas deux avec tout le sang-froid d’un guerrier et curieux comme n’importe quel chaton de ton âge. On disait que la générosité de ta mère était très faible comparé à la tienne, mais toute la fierté que tu as te provient d’elle. Ta loyauté appartient certainement à ton père, car la seule chatte qu’il n’ait jamais aimé est bien Cygne Noir. Ta gentillesse viens de ton père mais le petit défaut que tu as de ne pas vouloir t’intégrer, tu le retiens certainement de ta mère. D’ailleurs tu es aussi tête de mule qu’elle. Pour ce qui est de ton physique, je m’étonne que tu n’ailles pas encore vu ton reflet.

Tu la regardais, perplexe. Ton reflet ? Elle voulait parler du chat qui apparaissait dans l’eau quand tu passais devant ? C’était donc toi, le petit chat noir ?

-Enfin bref, je dois aller chasser, il y a une flaque d’eau au fond de la tanière. Fais attention à toi, Couleur de l’Automne est tout près si quelque chose va mal.

Et elle s’éloigna, alors que tu partais dans la direction indiquée. Tu t’assois devant la flaque d’eau et t’admira. Devant tes yeux reposait un chat couleur de jais aux reflets ébène, qui n’était pas si petit en fin de compte. Il serait certainement très musclé plus tard, on ne peut pas en douter une seconde. Des pattes pas trop courtes ni trop longues qui donnaient au chaton un certain charme. Au bout d’un petit cou reposait une tête un peu mince à ton goût, au bout des oreilles de hauteur moyenne. Rien d’extraordinaire, ce petit museau aussi noir que le reste de ton corps. Ce qui te plaisait cependant, c’était tes yeux. Ils étaient tellement bleus pâles qu’on douterait presque qu’ils sont blancs. En fait, tu savais pourquoi tu les aimais. Ils étaient à l’origine de ton nom, et ils te promettaient un grand avenir.

Te souviens-tu de la première fois où tes yeux endoloris s’ouvrirent comme les fleurs au printemps ? C’était magnifique, n’est-ce pas ? Le crépuscule qui se couchait sur une nuée de pétales rougeâtres, se volatilisant derrière une montagne. Tu avais failli dégringoler la colline pour aller le rejoindre, sous le regard protecteur de ton père. Il t’avait expliqué que c’était là qu’il avait rencontré ta mère, et  encore une fois, tu lui demandais où elle était. Plutôt que de te répéter la même chose, il te prit doucement dans sa gueule et escalada une paroie, ou il t’installa sur sa tête. Il ne parla pas jusqu’à ce que l’encre envahisse le ciel avec ses taches blanches.

-Tu vois ces étoiles ? Eh bien maman est l’une d’elle. Bientôt, Plume d’Ivoire, Cœur Pourpre et moi irons la rejoindre, tu sais. Et ce jour-là tu devras te comporter en guerrier, mon fils.

Et tu le regardas, des étoiles dans tes prunelles fades. Tu repensais à Cygne Noir et à Rouge Poison qui te regarderaient d’en haut. Tu savais que tes parents étaient fiers de toi; tu avais appris à parler avant les autres, appris à marcher avant d’avoir ouvert les yeux, et maintenant que tu les ouvrais, rien ne t’arrêterais.

-C’est promis papa, je serai toujours un guerrier. Même que je serai le meilleur de tous, et je prouverai aux autres que nous sommes les plus forts.


Et il soupira, espérant que tu comprennes cette fois. Il te ramena au camp tard cette nuit-là, te déposant entre les pattes de ta tante. Il se pressa d’aller dans la tanière  des guerriers, te laissant pensif. Tu levais les yeux vers les ténèbres et soupira. Tu t’étais toujours demandé pourquoi la vie était si compliquée. Et comme chaque soir depuis, tu t’endormis après de longues heures d’insomnies.