Barrière de Corail est une chatte de taille moyenne et à la silhouette fine, faussement exagérée par l'épaisseur de son poil tricolore. Le noir, le blanc et le roux semblent se battre afin de savoir lequel aura le dessus sur les trois : le noir et le roux occupent le plus d'espace, tandis que le blanc se résigne modestement au poitrail et à une partie du museau et des pattes. La jeune guerrière a des yeux émeraudes assez clairs, qui rappellent le vert d'une source pure et naturelle.
Lorsqu'elle plonge dans les eaux de la rivière et s'y submerge afin d'aller attraper de fuyants poissons, l'ombre colorée qu'on voit défiler sous la surface semble parfaitement s'incorporer dans le fond de la rivière : le noir rappelle les rochers sombres, le blanc les reflets lumineux de l'eau, et le roux les écailles étincelantes des poissons. Au fond, Barrière de Corail porte son nom à merveille.

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Barrière de Corail est née pour le Clan de la Rivière. Elle en porte les traits les plus caractéristiques : la fierté, la force, l'adresse à la nage, la sveltesse, la discrétion...

On aurait pu l'appeler Couleurs du Fantôme. Elle est très discrète, presque effacée au sein du Clan. On vaque à ses occupations, on la pense ailleurs, et tout à coup la voici qui vous passe devant le museau. Aucun bruit, une odeur quasiment inexistante, et surtout un air innocent dans les prunelles : c'est devenu une habitude pour elle de paraître et de disparaître sans prévenir, en en surprenant voire en en effrayant plus d'un. Mais si la discrétion qu'on lui attribue passe par sa présence physique, elle passe également par sa présence en tant que membre qui donne son avis : elle reste très réservée, donne peu son avis, préfère observer plutôt qu'intervenir, allant jusqu'à paraître désintéressée. On se rend pourtant compte, lorsqu'enfin elle ouvre les babines, qu'elle emmagasine tout ce qu'elle écoute, et les ressort à bon escient.
On aurait pu l'appeler Rivière Sauvage. Malgré tout, elle est une jeune guerrière pleine de vie et de caractère. Bien que discrète, elle ne sait pas se faire marcher sur les pattes et surtout, ne l'accepte pas. Sa fierté ébranlée, elle peut devenir très virulente, voire insolente. De plus, bien que partie entière du Clan de la Rivière -elle le porte dans son cœur- elle a ce petit cri intérieur lui intimant de toujours dépasser ses limites, de chercher l'interdit et de le braver. Ainsi, elle préfère ses virées en solitaire, où seule elle sait où elle va -ou peut-être pas- à la compagnie des autres qui parlent souvent pour ne rien dire, selon elle, et qui en plus lui reprochent à elle de ne pas assez parler. Parler de la pluie, du beau temps ou du tas de gibier qui grandit ou s'amenuise ne lui parait pas très intéressant, c'est tout.
Mais elle s'appelle Barrière de Corail. Elle est ce qu'elle est, colorée et contrastée, sauvage et fidèle, fière et généreuse, discrète mais présente, et surtout, elle est une infinité de mots descriptifs que j'ai oublié de mentionner, car on ne connait jamais entièrement une personne.  

❝Loup Masqué, je te présente Boule de Corail...❞ souffla tendrement une jeune reine en poussant du museau une minuscule boule de poils au pelage tricolore. Celle-ci gémit, recherchant le contact chaud du pelage de sa mère auquel on venait de l'arracher, puis se calma lorsqu'elle en sentit un autre, dont l'odeur lui était inconnue. ❝Elle est sublime, Nuage Brillant❞ lui répondit, ému, le jeune père en sentant sa fille se blottir contre son poitrail chaud. Le guerrier, un puissant mâle au pelage noir et blanc, tourna ensuite les yeux vers sa compagne, une très jeune apprentie dont la gestation, prématurée au vu de son jeune âge, avait fait bien des tumultes dans le Clan. Mais l'amour leur était tombé dessus, les choses s'étaient accélérées au même rythme que la passion. Et même si Nuage Brillant avait risqué sa vie lors de la mise bas, même si le deuxième petit était mort-né, la joie incommensurable d'accueillir le petit fruit de leur amour n'était comparable à aucune peine.

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Les lunes passaient et Boule de Corail trainait toujours dans la pouponnière, sans cesse en recherche d'une activité à faire ou d'une bêtise à commettre. Elle n'était ni plus ni moins qu'un chaton de son âge, naïf, innocent, plein d'énergie. Elle était entourée et choyée par ses parents, et commença à développer un caractère de princesse. Chaque soir, à la tombée de la nuit, Loup Masqué venait chercher sa compagne et sa fille, et tous les trois allaient admirer les étoiles à l'orée du camp.
Un jour arriva où Nuage Brillant décida de s'accorder quelques heures de sortie en solitaire. Elle avait laissé Boule de Corail à la charge d'une autre reine, et s'était envolée vers la rivière, élément qu'elle chérissait plus que tout au monde. Plonger dans l'eau fraîche était une sensation qui lui avait réellement manqué ces dernières lunes. Lorsqu'elle sentit une grosse goutte rebondir sur son museau, la jeune mère leva les yeux au ciel : de gros nuages noirs s'amoncelaient, et des éclairs fissuraient le ciel au loin. La pluie, épaisse et violente, laissait présager un cruel orage. Mais rien n'aurait pu entamer la joie et l'adrénaline que procurait l'idée de se baigner. Alors, avec l'insouciance que lui offrait encore son jeune âge, malgré son rôle de mère, la femelle tigrée plongea dans la rivière et c'est avec soulagement qu'elle profita de cette sensation glissante sur son pelage ponctuellement lissé par l'eau. Prise par le bonheur de retrouver son élément, Nuage Brillant mit la tête sous l'eau et s'enfouit au plus profond de la rivière, en toucha le fond avant de remonter. C'est avec horreur qu'elle découvrit alors une rivière qui n'avait plus de rives, mais dont les flots étaient monstrueux et virulents. Entrainée par le courant, bien trop frêle et encore faible de son allaitement, Nuage Brillant se fatigua vite et, incapable de lutter davantage contre ces flots déchainés, elle sombra.

Lorsque ni sa mère, ni son père n'étaient rentrés ce soir-là, et que Boule de Corail se retrouva à admirer les étoiles seule, elle comprit que quelque chose allait changer pour toujours. En fait, quelque chose avait déjà changé. Loup Masqué revint tard ce soir-là, les yeux larmoyants et brûlants, des tremblements lui parcourant le corps. Une escorte l'aidait à porter la dépouille de son amour déchu, Nuage Brillant, qui avait sauté à l'eau malgré la tempête avec l'insouciance d'un nouveau-né. Devenir mère ne lui avait pas fait gagner en âge, ni en maturité : elle était restée une jeune apprentie qui avait beaucoup de choses encore à apprendre.
Après la disparition de Nuage Brillant, Loup Masqué s'éloigna de sa fille. Il venait la voir encore souvent, mais la voir lui rappelait sa mère, et la tristesse se lisait dans ses yeux. Les soirées étoiles se faisaient de plus en plus rares, de même que la présence du jeune père. Boule de Corail passa les derniers mois dans la pouponnière tiraillée entre le manque de sa mère et l'incompréhension de la disparition de son père. Le jour où elle devint Nuage Corail, il n'était pas dans l'assemblée à crier son nouveau nom.

❝Nuage Corail, j'ai quelque chose à te dire.❞ Loup Masqué était venu accueillir sa fille alors qu'elle revenait de son entrainement au combat. Aucun sourire, aucune tendresse, juste un air sérieux et grave qui fit paniquer la jolie tricolore. Elle s'éloigna de son mentor et rejoignit son père, qui l'emmena près de la rivière. La vue de l'eau donna le malaise à la novice, qui se l'imaginait agitée par la tempête qui avait tué sa mère. ❝Nous partons, Nuage Corail.❞ La détermination que son père avait mis dans sa voix déconcerta la jeune chatte. ❝Comment ça, nous partons ?❞ - ❝J'ai rencontré une chatte❞ l'annonce de Loup Masqué fut comme une détonation dans l'esprit de sa fille, qui prenait d'ors et déjà cela comme une trahison, sans en écouter plus. Indignée, le poil hérissée, elle se dressa sur ses pattes et fixa son père avec un regard très dur. ❝Elle s'appelle Précieuse, c'est une chatte domestique. Elle m'apporte les rayons de soleil que je n'ai plus depuis la mort de ta mère.❞ Le pieu qu'on venait de lui planter au cœur empêchait Nuage Corail de respirer. Les yeux pleins d'eau, elle s'apprêtait à répliquer, mais aucun son ne sortait de ses babines. ❝Demain, ses maîtres changent de tanière. Ils m'ont bien accepté, tu sais. Ils m'emmèneront avec eux. Et toi aussi, je suis sûre... Tu es tellement belle...❞ La discussion allait de révélation en révélation. Plus son père parlait, et plus Nuage Corail avait l'impression d'être face à un inconnu. ❝Non, papa. Non. Pars, toi, si tu veux. Pars si tu estimes que ta vie ici est terminée. Pars si tu penses qu'abandonner ceux qui t'aiment ne te fera pas souffrir. Mais ne m'impose pas mon propre départ. Ma vie est ici.❞
Avant de tourner les talons, Nuage Corail adressa un regard plein de tendresse à son père. Lorsqu'elle se retourna et s'éloigna de lui, sur le chemin du retour au camp de la Rivière, son corps tremblait de rage, mais son cœur battait d'amour, car malgré la trahison de son père, l'amour qu'elle portait à ses parents était inconditionnel.

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Les lunes passèrent et, après avoir subit le contrecoup du départ de son père, et les jugements des membres du Clan auxquels elle assistait tous les jours, Nuage Corail se remit à son entrainement, si fort qu'elle devint l'élite des futurs guerriers. Sa détermination, son courage, ses qualités, furent remarquées et c'est sans surprise qu'elle fut nommée guerrière un jour où la pluie tombait à fines gouttes.
❝J'en appelle à nos ancêtres afin qu'ils se penchent sur cette apprentie. Nuage Corail a travaillé dur et honore chaque jour votre Code du Guerrier. Les blessures que lui a infligé la vie ne l'ont pas affaiblies, au contraire : elle est un fort élément du Clan, et prometteur.❞ L'étoile du Clan de la Rivière fixait l'apprentie colorée avec fierté et espoir. Avec de tels bataillons, son Clan était certain de vivre encore longtemps et en pleine forme. ❝Nuage Corail, dès à présent tu seras connue sous le nom de Barrière de Corail. Le Clan t'accueille dans ses rangs en tant que guerrière à part entière.❞

Le même soir, Barrière de Corail veilla en silence le camp, comme le voulait la tradition. Sa vie entière lui passa devant les yeux. Sa naissance, sa vie de princesse, la perte de sa mère, le départ de son père. En dernier lieu, sa nomination de guerrière vint gonfler son poitrail d'orgueil. Et, même si son père manquait encore à l'appel dans l'assemblée qui avait clamé son nouveau nom, la force qu'elle tirait de son mental l'empêchait de sombrer dans la nostalgie. Elle vivrait.